L'édito

Une équation chaque année plus complexe à résoudre

Chères spectatrices et chers spectateurs,

Une fois n’est pas coutume, c’est le président du Conseil d’administration du TMS qui signe cet éditorial. Une première en huit ans d’exercice, pour partager avec vous l’inquiétude de toute une équipe et au-delà d’elle, d’une profession, artistes, techniciens, directions et administrations de théâtres dont les éléments les plus fragiles disparaissent à bas bruit à un rythme, jusqu’à présent, inégalé.
Nous sommes tous conscients du niveau des déficits publics qui suppose de les réduire et au-delà de désendetter le pays. Pour cela n’existent que deux leviers : l’accroissement des recettes fiscales, la contraction des dépenses publiques. C’est sur ce dernier que le gouvernement choisit à nouveau de faire porter l’essentiel de l’effort. Quant aux collectivités territoriales qui largement contribuent au financement de l’offre culturelle et artistique de ce pays, l’équilibre budgétaire auxquelles elles sont astreintes est devenu au fil des ans la quadrature du cercle. À la différence de l’État, elles n’ont pas le droit au déficit budgétaire. Lorsque leurs recettes budgétaires sont en baisse, elles taillent dans leurs dépenses.
Rien de polémique dans mon propos, pas d’envolée lyrique sur le renoncement à la culture mère de toutes les richesses, sachant les financeurs et partenaires du TMS soucieux de l’épargner au mieux, et jusqu’à maintenant, des coupes de budget auxquelles ils ont dû se résoudre. À la différence du département et de la région qui y ont procédé cette année, Sète Agglopôle Méditerranée et le ministère de la Culture ont reconduit leur dotation sanctionnant par leur reconnaissance, le travail accompli. Nous les en remercions.
Pour autant les faits sont là : votre théâtre, celui que vous récompensez de votre fidélité, fonctionne chaque année un peu plus en mode dégradé. La saison 2018/2019 comptait 63 spectacles à l’affiche pour 159 représentations. Celle qui s’ouvre 55 spectacles pour seulement 95 représentations.
Si le choix est fait de préserver autant que possible la diversité de l’offre (ce ne sont que huit spectacles de moins à l’affiche entre ces deux repères temporels), en revanche la diminution de 40 % des représentations compromet l’élargissement des publics, tant il est vrai que de la capacité à proposer des séries d’un même spectacle dépend l’efficience du bouche à oreille, de votre force de conviction auprès de vos proches et connaissances pour qu’ils viennent au théâtre.
On lit parfois ici ou là des remarques acerbes sur un secteur jusqu’à présent gâté à l’excès. Qu’une petite cure, sinon de diète, du moins de frugalité ne pourrait pas lui faire de mal. Autrement dit, qu’il pourrait faire mieux avec moins. Mais c’est précisément ce que nous faisons comme tant d’autres théâtres ! Entre 2019 et aujourd’hui, l’inflation a été, selon l’Insee, de 15,3 %. Il y avait longtemps qu’elle n’avait pas été aussi forte et chacun(e) a pu le mesurer à l’aune de son pouvoir d’achat et au devoir d’arbitrer plus durement entre ses dépenses. Sur la même période, la masse salariale du TMS n’a progressé que de 3,4 %. C’est dire, sans possible contradiction, les efforts consentis par les personnels : des augmentations pondérées de salaires et surtout une surcharge de travail pour chacun(e) résultant de départs non remplacés et de recrutements différés. La rigueur des temps, et nous en sommes particulièrement désolés, elle la première, conduit Sandrine Mini, notre directrice, à des échanges de plus en plus complexes avec les équipes artistiques dont la priorité absolue est bien entendu de jouer, je pourrais rajouter à tout prix.
J’entends aussi parfois, mais de plus en plus rarement, l’antienne rabâchée : « Mais il n’y a qu’à programmer des spectacles qui rapportent ». Pour régler le sort à ce remède mirage, je prends l’exemple de 20.000 Lieues sous les mers que vous avez été si nombreux à choisir et à applaudir la saison dernière. 100 % de remplissage (1 600 places mises à la vente, 1 627 vendues !), une recette exceptionnelle de 31 000 € pour 53 600 € de dépenses directes (le cumul du contrat de cession, des frais d’approche et des défraiements). Soit une charge nette pour le théâtre de 22 600 €. Ce, hors le coût de l’ordre de marche du théâtre car il a fallu éclairer, chauffer, rémunérer les équipes permanente (administration, technique, relations avec le public, médiation, billetterie et accueil) et intermittente sans lesquelles point de représentations. Alors pour effacer cette charge nette de 22 600 €, fallait-il augmenter d’au moins 40 % (selon une simple règle de trois) le prix des billets au risque de défections et surtout de tourner le dos à notre mission de démocratisation de l’accès à l’art ? Le taux de remplissage sur tous les spectacles de la saison 2023/2024 aura été de 82 %. On conviendra que dans ces conditions, la marge de progression est faible. C’est ainsi : plus on joue en remplissant le théâtre, plus on « perd » de l’argent, d’où la contraction de la programmation, année après année, un remède aux effets indésirables garantis.
Malgré tous ces efforts et une gestion vertueuse (c’est bien le moins qu’on puisse attendre de nous), notre déficit comptable se creuse inexorablement au grand dam de l’équipe toute entière. Réduire encore la voilure ? Mais jusqu’où et avec quelles conséquences sur l’attractivité de notre saison ? Chères spectatrices, chers spectateurs, nous le savons ensemble pour le lire ou l’entendre chaque jour, les perspectives budgétaires pour 2026 sont autrement plus inquiétantes encore. Dans la perspective d’arbitrages douloureux, nous espérons des décideurs publics dont nous n’ignorons rien des contraintes et qui n’ignorent rien des nôtres, qu’ils ne feignent pas de croire qu’on pourra indéfiniment nous adapter et absorber le choc.
Notre modèle économique est ainsi fait que les effets d’une inflation non compensée par des recettes publiques, et maintenant aggravés par leur diminution, remettent en cause le formidable paysage des théâtres publics français, hérités de temps sans doute moins difficiles où l’action culturelle publique était portée en étendard. Bien malin(e) serait celle ou celui qui nous permettrait d’en changer… En mieux, bien sûr.

Jean-François Marguerin, Président du Conseil d’administration du TMS
et l’équipe très engagée du TMS